Youcef L'Asnami

Youcef L'Asnami

Lettre à ma mère


Lettre à ma mère…

 

De là où je suis, je t’écris à là où tu es ! Pour te dire que tu me manques. Que tu manques à tes enfants. Mon père nous a quittés tôt. Très tôt. Te laissant seule avec 10 enfants.  Tes 10 enfants que le sort a voulu que tu les élèves seule...  Avec des moyens dérisoires. Une petite retraite que t’a laissée mon père.

Je me souviens des chemises et des pyjamas que tu nous confectionnais toi-même. Je ne les aimais pas car le col me serrait toujours. Mais je n’avais pas le choix. Je devais les porter. Je me souviens des plats que tu préparais. Servis dans de minuscules assiettes mais bien remplies pour nous donner l’impression qu’on n’est pas privés puisque l’assiette est pleine. Tu faisais ce que tu pouvais pour que tes enfants soient propres et bien éduqués aux yeux des voisins.  « El-djiranes » surtout. Pas aux yeux de la famille. Et je n’ai jamais compris pourquoi tu accordais plus d’importance aux regards des voisins qu’à ceux de la famille. Jusqu’à ce que Cherif m’explique. Que dans ton effort de nous élever, tu étais plus aidée par les voisins que par la famille. Cette façon de te sentir obligée de rendre des comptes parce qu’on t’a été aidé m’a toujours attristée. Et je me sentais impuissant devant ce que je considérais comme une injustice.

Je me souviens encore de ta peine, lors de la finale de la coupe du monde de foot de 1974 ! Tes 4 fils étaient privés de télé noir et blanc. Mais on était tous les 4 l’oreille collée au mur de notre voisin policier pour écouter le son de leur télé… et suivre cette rencontre entre la RFA et la Hollande à travers le son… pas d’image ! Juste le son… et on a applaudi tous les 4 au premier but de Breitner. On était si heureux. Et le lendemain de cette rencontre, j’ai commenté le match avec mes camarades de classe comme si je l’avais vu… Pour ne pas passer pour le pauvre du quartier… J’ai commenté parce que j’ai tout retenu des commentaires entendus à la télé. Tu nous as appris avec insistance à être fier de ce que nous sommes.

Je me souviens aussi de ta pudibonderie qui m’aura marquée ! Tu étais gênée de voir ton propre père avec tes enfants. Et cela, personne n’a pu me l’expliquer jusqu’à ce jour… Nous n’avions pas internet et donc je ne pouvais faire des recherches sociologiques pour comprendre la complexité des rapports que tu avais avec la famille, mon père, les voisins… De même que je ne t’ai jamais vu dormir dans la même chambre que mon père. Tu as toujours dormi avec tes 6 filles dans une chambre. Et tes 4 fils dans une autre. Mon père régnait sur la famille comme un Pacha ! Il avait le droit à SA chambre. Sa Radio. Ses tapis de prières. Ses assiettes à lui. Ses journaux.  Et c’est moi qui avais le privilège de lui emmener SON repas dans SA Chambre. Mais j’étais récompensé pour ce service. C’est encore moi qui allait cherchait le plateau repas de mon père. Et c’est moi qui finissais ses restes…. Et ce privilège je l’ai gardé malgré la jalousie de mes frères avec qui pourtant il m’arrivait de partager les restes de mon père.

Je me souviens de tes tremblements et de tes angoisses à l’approche des examens et surtout à l’arrivée des bulletins de note de tes enfants. Avant la mort de mon père. Tu redoutais la punition physique que l’on subissait chaque fois qu’on avait moins de 10/20 à une matière. De ce jour où mon frère Abdelkader a été battu par mon père jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Pour avoir eu un 5/20 en espagnol !!! Tu ne pouvais arrêter cette violence de mon père. Ni tes pleurs, ni les pleurs de tes enfants devant cette scène atroce n’ont pu adoucir mon père. On subissait ! En silence. Et les voisins ne le savaient pas….

J’ai toujours été émerveillé par la complicité que tu avais avec « tes filles » et moins avec tes garçons. Je t’ai maintes fois surprise – en cachette – de parler de sujets très personnels avec Hamida qui avait des soucis avec son mari… sur le plan intime. Des soucis que l’on traite à présent sur des forums de psycho sur le web. Surpris et jaloux. Car moi aussi je voulais te confier des secrets relatifs à notre voisine Ghania, mon premier amour. Mais je n’ai jamais pu. Alors que tu savais que j’aimais cette fille. Et qu’elle ne venait pas chez nous que pour que je l’aide à faire ses devoirs de maths. Mais tu t’arrangeais à ce que l’on reste seuls dans ma chambre et ne pas être dérangés. Je me souviens de ce jour où tu nous as même fermés à clés dans ma chambre « pour que Ghania se concentre mieux dans ses devoirs »… Il est vrai que son père faisait partie de ceux qui nous aidaient financièrement…. Je me contentai de cela ya Emma !!!  J’étais si heureux.

Quand j’ai eu mon Bac, je voulais faire du journalisme. Je rêvais d’être journaliste. Pour écrire. Décrire. Rapporter. Commenter. Voyager. Interroger. Expliquer. Deux raisons m’ont en empêché ! L’arabisation de la filière journalistique et le fait que l’on ne disposait que d’une misérable bourse qui ne m’aurait pas permis de t’aider financièrement. Alors, pour enfin commencer à t’aider, j’ai suivi la filière agronomique à l’INA d’El harrach. Où, dès la première année on avait un « pré-salaire »… de 1000 DA par mois. Enorme à l’époque. 1000 DA !!! le rêve… Adieu le journalisme…. Bonjour les vaches, les moutons, les abeilles et la steppe algérienne ! Je me souviens alors de mon premier « pré-salaire ». Un rappel de 3 mois. 3000 DA !!! Je suis enfin devenu riche !!! Et de mon premier à achat pour la famille : une télé Sonelec en noir et blanc ! J’en pleurais de joie de me voir enfin contribué au bonheur familial. Tu étais fier de moi Ya Emma. Ghania aussi d’ailleurs. Mais surtout par rapport aux voisins ! Tu étais obsédée par le regard des voisins !

Tu ne comprenais pas le journal télévisé pourtant en « arabe ». Je t’expliquais et te « traduisais » ce que l’on veut bien nous expliquer dans cette UNIQUE chaine. La RTA !! Il n y avait pas de parabole à cette époque.
Au moment de la décennie noire qu’a traversée l’Algérie, tu m’as encouragé à quitter un pays où un « marchand de cacahuètes gagnait plus qu’un prof de Fac ». J’ai longtemps résisté à cette injonction. Tu as fini par me convaincre. Mais je t’ai toujours épargné toutes les difficultés que j’ai pu avoir avant de trouver ma place dans cette France des paradoxes. Par peur que tu te culpabilises de m’avoir encouragé à « émigrer ». Je n’aimais pas cette frange d’émigrés insolents et méprisants, vivant de RMI et d’aides sociales et qui venaient au bled nous en mettre plein les yeux, construire des maisons à quatre étages, rouler en 4x4 ! Devant un peuple désœuvré et écrasé par l’injustice ! Je n’aimais pas cet étalage de richesse que matérielle. Et c’est toi qui me disait souvent : « la vrai richesse n’est pas dans le porte-monnaie, mais dans le cœur ». J’avais aussi retenu de toi cette phrase que j’affectionne « la vraie beauté comme la vraie laideur sont dans les cœurs pas dans les corps ». Je notais toutes les belles phrases et dictons que tu nous disais.

Puis vint la terrible maladie qui t’a surpris. Qui a surpris tes enfants. On n’a pas voulu m’en parlé pour ne pas me perturber. Et quand on a su que c’était presque ta fin, on a fini par décrocher le téléphone pour me dire de venir te « dire au revoir ». Oui venir dire « au revoir » et préparer tes obsèques !! Je ne pouvais croire que tu allais nous quitter ya Emma !!! J’ai imploré Dieu à genoux, le Tout Puissant pour qu’Il ne te fasse pas souffrir…  Je ne sais pas si Dieu m’a entendu puisque quand je suis arrivé en catastrophe à l’hopital de CHLEF avec Aida, tu avais déjà un pied ailleurs. Mais je me suis rappelé tout bêtement de ce dicton « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». J’ai demandé au médecin si je peux t’évacuer sur Alger. Il m’a dit que non. Il vaut mieux te laisser mourir en paix, entourée de tes enfants. Voir sa mère mourir en paix !!!! Atroce ! Non ! J’ai refusé. Et contre vents et marrées, je t’ai faite évacuer sur Alger malgré l’opposition des frères et sœurs. J’ai réussi, par des connaissances, à te faire prendre en charge à l’Hopital Mustapha d’Alger. Où on nous a expliqué très pédagogiquement que l’on peut s’en sortir d’une embolie pulmonaire. Des mots réconfortants. Alors j’y ai cru… Et miracle de la médecine!!! Deux jours après ton admission à l’Hopital Mustapha tu as repris conscience. Fatiguée mais souriante. Heureuse de revoir tes enfants, dont certains étaient chez moi …. A Alger. Tu m’as même dit de faire attention à tes petits enfants quand ils sont au balcon….  Une semaine après ton admission, tu étais presque sauvée. Tu as retrouvé ton sourire. Je ne trouvais plus les mots pour remercier Dieu. Et dire qu’on m’a appelé pour te dire « au revoir ». Voilà que je suis arrivé pour te dire « Bonjour Ya Emma ». Un bonjour et un « au revoir » car pour moi tu étais sauvée !

A peine rentré en France… deux jours plus tard… On m’appelle de nouveau pour te dire non pas « Au revoir » mais « Adieu ». Dieu en a voulu ainsi. Je me suis résigné à sa volonté. Il nous a séparés de toi. Il nous rappelé la cruauté de la vie. Je L’ai remercié. Et pris acte de Sa décision de t’appeler. Mais je suis sûr que cde Dieu t’aime…. Car il sait ce que tu as fait pour tes enfants…
Tu es en repos Ya Emma… je ne veux pas perturber ce repos éternel en te parlant de la famille ou de la situation du pays. Encore moins de moi. Sois en rassurée… Coté famille, ça va …. Quant à l’Algérie ? Quoi te dire ? Ben ça va quand même… malgré tout. La France ? Toujours des paradoxes. Des riches et des pauvres. De la liberté et du racisme ordinaire. Rien de grave en fait.
Repose en paix. Tu as été femme ! Tu as été mère…. Tu ignorais tout des débats sur les « droits des femmes ». Faute de temps. Je t’ai toujours aimé et je t’aimerai toujours.

 

PS. Sarko a été battu. Le FLN est revenu au pouvoir. Le prix de la pomme de terre a baissé. Ghania a 4 enfants et s’entends très bien avec son mari. On parle toujours de Boumediene. Walid a une entreprise de location de voitures qui marche bien.



31/03/2014
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